Le-Bonheur-des-Mots

Le-Bonheur-des-Mots

Barnabée (Adeline)

 

A chaque fois, c’était pareil, Barnabé laissait tout trainer.

Bazar et capharnaüm habitaient notre maison, ou devrais-je dire notre taudis.

Confortablement installé dans son sofa, Monsieur sirotait sa tisane anisée, les pieds joyeusement reposés sur le guéridon, les yeux mi-clos et le cylindre d’herbe fumant suspendu dans une main.

D’habitude je pouvais le surprendre en train de jouer à la console, mais aujourd’hui, il n’était que vautré, statique et languissant.

Etrangement, ses yeux semblaient vides de vie. Plus que d’ordinaire.

Frôlant sa main, je m’approchais de son visage tout doucement et n’entrevit aucun mouvement, rien, pas un clignement d’œil, un mouvement de son visage ou un bruit de respiration.

Gage de notre futur bonheur de jeunes mariés, il m’emmena visiter notre maison, ce taudis que je viens de vous faire visiter.

Heureux, nous l’avons été, un court instant, certes, mais béats tout de même, quand nous sommes arrivés dans cette ferme isolée, habitée des environs par des vaches principalement ; un coin sacrément isolé mais magnifiquement cerné de champs de maïs et de fleurs sauvages.

Imaginez, seule, dans un corps de ferme vétuste, retirée de tout et de tout le monde avec comme seule compagnie, cet homme, inerte plus de la moitié du temps, fumant, buvant, jouant et tout particulièrement fainéant et taciturne.

Jadis, notre relation était plus légère, plus enjouée mais s’était bien vite dégradée ; je ne le regrette pas, je pense avoir également ma part de responsabilités.

« Kaléidoscope », avait soutenu une amie à qui je confiais nos déboires ; elle qualifia notre relation de successions d’impressions et de sensations toujours changeantes.

« La gourmandise menace l’esprit

Coup dans l’estomac

Le goûter sera partagé »

Mardi, j’ai appris que j’attendais un heureux événement, mais heureux n’est pas le terme qui m’est venu quand j’ai découvert cette surprise.

Naturellement, je reviens à ma situation présente : je suis tout près de Barnabé qui paraît inanimé, la pièce est plongée dans la pénombre, le bruit du silence règne, hormis un cliquetis entêtant émanant d’une vieille horloge accrochée au mur.

Observant Barnabé intensément, une inquiétude me guette, toujours aucun signe de vie habitant son corps.

Pourtant, mes narines sont chatouillées par une odeur dérangeante, mais ce n’est que le cuir de sa vieille veste qu’il porte sur lui aujourd’hui.

Quatre minutes s’écoulent et la réalité prend forme : le silence devient assourdissant, la pénombre d’un noir opaque, le sang bat dans mes tempes, mes jambes tremblent.

Rien, rideau, néant, nulle chose, Barnabé est mort, il n’est plus. J’approche doucement ma main qui tremble avec la peur accrochée au ventre, je dois le toucher, sentir son cœur, vérifier que je ne me fourvoie pas.

Sauvagement, je me mets en quête de palper tout son corps, à la recherche de son pouls, de son souffle, de sa respiration, d’un soubresaut.

Terrorisée, je reste inerte, incapable de pensées ou de mouvement, littéralement paralysée.

Ultérieurement, quand les enquêteurs viendraient me questionner, voir l’endroit dans lequel nous habitions, vérifier les circonstances de la mort de Barnabé, le poison ne devrait pas être détecté.

Véhiculant depuis plusieurs semaines de l’antigel dans quelques-unes de ses préparations culinaires, je redoute que les médecins ne fassent quelques analyses qui mettent en évidence la mise à mort de mon mari.

Wallonne d’origine, je retournerai en Belgique, espérant secrètement être mise hors de cause. J’ai pris d’énormes risques en agissant de la sorte et n’ai peut-être pas assez mesuré les risques incommensurables pris.

Xénophobe profond, violent, fainéant, menteur, tricheur, une raclure, Barnabé n’avait eu que ce qu’il méritait.

Y aura-t-il des jours paisibles, meilleurs que ceux que je viens d’endurer ces dernières années ? Aurais-je l’esprit serein après mon odieux acte ? Seul l’avenir pourra répondre à mes innombrables questions.

Zéraphine arrivera ce soir pour m’aider, m’assister, me tenir compagnie après ce terrible drame.

 

 



13/05/2020
3 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 26 autres membres