Le-Bonheur-des-Mots

Cocoronadélire

Un oiseau traversa le ciel en trainant un nuage derrière lui. C’était Thomas, Rouge-gorge de son état. Voilà trois jours qu’il était parti à la conquête de la mer du dessus, laissant au nid sa jolie Ambroisine. Dans leur couvée était un coco coronafecté. Pour le sauver, il lui fallait respirer l’air pur d’un nuage immaculé et être récuré d’une solution hydro-alcoolisée. Thomas avait nagé dans les cumulus, plongé dans les nimbus, brassé en apnée dans des pluies de perles et, aux confins du firmament, il l’avait vu : léger, éthéré, d’un blanc-manger de tarte renversée.

Au même moment, la jolie Ambroisine avait aussi quitté leur nid d’amour, afin de tout tenter pour sauver leur oeuf à la coque en sucre qui avait de la température. Pas de veine, le ciel était en quarantaine. Son vol esquivant vents et marées, maints projectiles d’air vicié, elle avait atterri dans une gargote sur le toit d’une pharmacie. Après ces milles intempéries, son gosier asséché réclamait quelques gouttes d’eau de vie. Au comptoir, il y avait Barnabé, vieux hibou dépenaillé.

- Et pour la souris, qu’est ce que je mets ?

Ambroisine avait l’ouïe fine et le bec timide.

- Un petit bouquet de brocolis mi-cuit et une rasade d’hydromel, pria-t-elle, empourprée.

Barnabé n’était pas seulement déplumé. Il avait l’aile tremblante et l’oeil usé. Ce ne fut pas une rasade, ce fut une cascade.

- Pour moi ça va faire top.

- Quoi ? Elle va pas être grossière en plus ! Ici on prend pas du brocoli cuit à l’eau de Vittel.

Embarrassée, Ambroisine tenta tout de même :

- Permettez-moi alors de prendre le reste à emporter. J’en badigeonnerai sur mon coco à la coque enfiévré. Votre liqueur hydro-alcoolique vaincra peut être le covid qui a infecté sa coquille.

Essuyant le zinc de son mouchoir, le hibou, cancrelat notoire, lui jeta un regard noir. Sans plus oser ouvrir le bec, Ambroisine picora fissa son brocoli et s’envoya cul sec dans le jabot une rasade de tord-boyaux. Elle glissa sous son aile le reste embouteillé de son hydromel.

- Ça fera dix grains de millet et deux de blé.

- Vous n’y allez pas d’aile morte ! se scandalisa-t-elle.

- J’ai bien calculé les dividendes. Réglez ou je vous mets à l’amende.

Outrée, Ambroisine s’acquitta de la dette de ce truand.

- Malandrin ! lui cracha-t-elle en s’envolant.

Dehors les oiseaux de tous vents portaient masques et gants. Elle pensa à son Thomas, parti braver l’océan des étoiles pour rapporter le nuage parfait à leur petit oeuf frais.

Son brave emplumé avait justement traversé le pont des dernières constellations le séparant de sa maison. Il apercevait la cime du logis mais point une plume de son Ambroisine. Il hâta ses ailes,

espérant voir sa belle. Il n’était plus de sa demeure qu’à quelques battements de coeur quand il croisa Hermine, l’agache de la branche voisine. Un oeil sur son nid, l’autre sur la pie, Thomas tenta de se dépêtrer de là.

- Je n’ai pas le temps pour donner du bec, s’excusa-t-il. Ma belle oiselle est seule au nid avec nos cocos chéris.

- Sapajou ! lui cria-t-elle malgré tout.

Ils avaient franchi au même instant le seuil de leur toit de feuilles.

- J’ai le nuage pour emmitoufler notre pauvre petit oiselet !

- J’ai le sérum hydro-alcoolique pour décaper le calcaire de son huis !

Ils installèrent l’oeuf coronafecté dans les plis du nuage immaculé. Avec l’amour de deux tourtereaux, ils badigeonnèrent de liqueur le pauvre coco en sueur. Ces deux traitements et l’amour de ses parents sauvèrent le petit Tibère qui, par un beau matin de printemps, fracassa sa coquille et parut en gazouillant. C’en était fini du coco-confinement.