Gérard (Christiane)
2014, période des vœux, la gêne s'installe parmi les amis., la famille ; Que souhaiter lorsque des pans de vie s'effacent de l'album de Gérard : de la joie , du bonheur, la santé, .. ?
Mais oui osez,
Les instants de joie existent : le sourire , certes éphémère , de celui que vous aimez , la main qui se serre sur la votre, les signes retrouvés de colère ou de réprobation qui surgissent ;
la gomme sélectionne les neurones. Elle efface, met du blanco, une autre écriture nait ,plus subtile , inconnue pour les autres. Un langage limité offert à l'émotion du déchiffrage. On se parle ,sans parole, personne ne comprends, sauf nous ;
Tu est là , depuis 1an et demi ,
Dans cet angle de salle commune , trop loin des autres mais sécurisé. La photo s'est imprimée en moi : la table prés de toi , volontairement trop lourde à manipuler, la tapisserie blanc gris prés des plinthes , inévitablement salie par les manipulations, le marche pied du fauteuil coque dégingandé par tes gesticulations.... la porte de l'infirmerie très proche dont je guette le va et vient pour échanger une parole, une plaisanterie , une gentillesse , rompre l'isolement., mais peur de déranger. Ici,
dans ma seconde maison pleine de personnes sans mémoire, mais pas sans histoire . J 'arrive et je ne vois que toi , très vite , des patients me prennent pour un proche, un bisou quémandé, accepté,alors je place ma main sur des épaules , rassure lorsque le soignant est occupé plus loin. L'émotion me submerge ;
Beaucoup d'humanité prodiguée par les personnels. Le directeur toujours jovial pénètre dans ce monde, dans leurs ténèbres, à chacun de ses passages. Ne pas contrarier au risque d'élargir les félures . L'éthique de la maison c'est l'humanitude ;
Je te promène en fauteuil dans les couloirs , en hiver le temps ne se prête pas à l'évasion extérieure...Nous avons nos rituels , notre coin à l'étage face au parc, tu t'animes à la vision des visiteurs , des voitures ; trop souvent maintenant tu sommeilles ,fermes les yeux, les réouvres et souris en me voyant, comme si je venais d'arriver ; ta nuit m'apaise, tu pars loin , sans souffrance apparente ;tu ne parles plus, quelques mots parfois que je devine. J'entretiens un soliloque pour meubler le silence ; je pense : nos enfants sont trop loin, ils me manquent.
Le goûter à 16h , un bon moment d'intimité. Je t'aide , à tort, je sais , je freine tes capacités d'autonomie mais tu apprécies ….seul, tes mouvements sont hésitants , lents , ta main dévie de ta bouche ;
Tu as envie de bouger, je te lève du fauteuil pour te faire marcher dans ces couloirs ou tu déambulais à ton arrivée, avant ton hématome sous -dural; je te tiens fortement, attentive à la moindre faiblesse , heureuse de te retrouver en homme debout , fier, courageux, combatif ;
L'amour fait le reste pour supporter l'inexorable déclinaison ; Parfois je me comporte comme si tu étais mon enfant , me ressaisis pour redevenir ta femme.
Alors le plus dur reste mon départ ; comment te quitter ? Je choisie de te dire : « je reviens » sans autre précision ;
Je te laisse un journal pour que tu touches un objet familier. tu le manipules , le plies , le découpes même gestes que pour ton travail, mais tu l'abandonnes très vite. J'ai peur que tu t'ennuies... ;
Je m'éclipse sans bruit, ne pas me retourner. Au dehors je rase les murs...
Je me dépêche de rentrer, me retrouver toute seule sans espérer personne pour être encore avec toi
Les anxiolytiques (parfois) à portée de main....la psy tous les 15 jours. Le temps ne nous aide pas dans cette maladie.
Je me garde une journée sur 2 pour reprendre pied dans la « normalité », voir les amis, lire, aller au cinéma, m'engager socialement ; Pour tenir, pour toi , pour nos enfants et petits enfants. ...« on existe maman , mamie, nous aussi... ! Viens nous voir plus souvent !»
je n'arrive pas encore à partir plus de 3 jours, ... besoin de toucher Gérard ,comme une rassurance de vie !
Christiane Rouanet
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