Le-Bonheur-des-Mots

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Tribulations en Cardiologne - En terre inconnue. (Serge J B)

 Le spécialiste de l'électricité du cœur (oui, ça existe ) était venu m'expliquer ce qu'il allait faire, et ce que j'allais subir. Une petite intervention en passant par mon artère fémorale. Un système de détecteurs du champ électrique cardiaque dans l'oesophage et ailleurs allait identifier la zone perturbatrice et hop, d'un coup de sonde à haute fréquence, il allait brûler définitivement ce machin qui m'angoissait. Je partis le cœur léger, au bloc un lundi matin comme prévu, après avoir été consciencieusement rasé et décapé à la l'antiseptique. Mon dernier souvenir fut le visage masqué de l'anesthésiste qui me disait : ...comptez s'il vous plaît... Mon souvenir suivant fut de me retrouver dans ma chambre, un peu vaseux. Les yeux clos j'entendis une voix douce dire : ...ils l'ont remonté du bloc un quart d'heure après...c'est court... J'ouvrais les yeux, d'un coup bien réveillé. Une grosse douleur dans mon larynx se manifesta en même temps. J'essayais de déglutir, impossible. Je sentis un liquide chaud envahir ma bouche et couler au coin de ma lèvres . Les deux infirmières qui étaient au pied du lit vinrent près de moi. ...monsieur, monsieur qu'avez vous ?... J'étais bien incapable de répondre quoi que ce soit, occupé que j'étais à contenir le flot de liquide qui montait dans ma gorge. Je pris une inspiration, et ce liquide envahit aussitôt ma poitrine. Je réussis à dire d'une voix rauque : ...je ne peux plus respirer... La panique vint, je luttais alors qu'une marée liquide montait dans mes poumons. Je suffoquais en me débattant. Le noir vint m'engloutir. C'est un "toc toc" sonore qui me réveilla. Le chirurgien tapait sur la canule pour perforer ma trachée artère. Toujours en apnée forcée, je le sentais presser ma poitrine. Un jet écarlate fusa vers le plafond. Un peu d'air entra dans mon corps. ...il respire... dit une voix ...le cœur est reparti... dit une autre. Je ne sais pas d'où je revenais. Pas de l'autre côté du néant parce que je n'avais rien vu. Depuis longtemps, le cartésien que j'étais, avait cédé une seule fois à l'irrationnel. Sans jamais en parler, j'avais décrété que tant que je ne verrais pas ma mère m'attendre, je serais encore dans le monde des vivants. Et là je n'avais pas vu l'ombre de sa frêle silhouette ni son sourire si doux. Mon lit roulait à toute vitesse dans les couloirs. Les néons défilaient. Je n'étais plus là. Juste au bord de l'asphyxie, je me répétais mentalement mon nom, les prénoms de ma femme, de mes enfants, ceux de mes parents, leur date de naissance. Je ne voulais pas sombrer. Des vagues de liquide montaient dans ma poitrine. Les infirmiers me maintenaient plaqué sur le lit. Dans ces situations, seule la survie compte. On lutte contre tout ce qui s'y oppose. Je survivais. Une grande langueur m'envahit. Un anesthésiant coulait dans mes veines. J'étais ailleurs, objet survivant dans le bloc sept. Le temps s'écoulait rythmé par la grosse pendule juste en face de moi. La première visite en réanimation fut celle de ma femme. Mes enfants suivirent. Muet à cause de la trachéotomie qui me maintenait en vie, je ne pouvais rien expliquer. Même pas leur dire combien j'étais désespéré de leur faire vivre ces tourments. Ce désespoir fit monter des larmes que je sentis couler sur mes tempes. Je regardais leur visage. Elles faisaient leur possible pour me sourire sans tomber ellesmême dans le chagrin. Ces minutes furent fortes. Elles resteront à jamais dans ma mémoire comme la plus grande preuve d'amour que l'on ne m'ait jamais donnée. J'ai commencé à chercher, depuis, des informations sur Bouddha. Il a l'air cool ce type, et les gens qui le vénèrent aussi. On trouve rarement des sanguinaires bouddhistes. Mais quand même quelque chose me gêne. Autant j'adopte la position de non violence et de respect qui devrait être le lot commun de l'humanité, autant j'ai du mal à croire que des prières, un protocole, des psalmodies et un do mineur poussé par des voix graves, puissent élever le pékin que je reste vers la paix absolue. Je vais donc attendre un peu avant mon changement de Dieu. Épilogue. L'opération a été un succès du point de vue électrique. Le chirurgien étant très satisfait, je le suis également. Le ventricule gauche est rentré dans le rang et obéit complètement à mon oreillette droite qui commande ( non mais des fois !) Je termine ma convalescence. C'est une période rendue TRÈS risquée à cause du volet " restauration" du séjour. Mes filles qui s'inquiètent de mes menus commencent a envisager sérieusement une seconde source d'alimentation parallèle à base de Garbure ( spécialité Béarnaise) et autres quiches, pommes au four et fruits frais. Je crois savoir que Bouddha était un bon vivant



25/02/2017
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