Le-Bonheur-des-Mots

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Tribulations en Cardiologne (Serge J B)




Tribulations en Cardiologne

Une pression sur le sternum sitôt accompagnée d'une impression générale de perte de contrôle, et malgré tout, pas d'inquiétude.
C'est étonnant cette faculté du cerveau de ne pas enclencher les alarmes même quand on s'éloigne un peu trop du domaine à l'intérieur duquel la vie est possible.
Il y avait 32 ans, quasiment jour pour jour, je m'étais retrouvé de la même manière au tapis.
La cause ? Un optimisme débordant sur ma capacité à résister, ou alors de la plus simple bêtise.
A l'époque j'avais mis ma santé  de côté, considérant que j'étais investi d'une tâche divine : construire solidement une carrière. Quel imbécile je faisais ! Quel orgueil, quelle vanité !
Je pencherai donc pour la bêtise comme raison.
C'est en réfléchissant à tout ça, sur mon lit de réanimation, ma coronaire droite irrémédiablement perdue et une partie du ventricule gauche avec, que j'avais pris l'option de survivre.
C'est facile à prendre comme décision, mais plus compliqué à assumer. Il fallait balayer quarante années d'habitudes et de facilités.
Autant le dire, ça fait râler et c'est éminemment frustrant. Mais c'était fait, et ma nouvelle vie m'avait amenée aujourd'hui, trente deux ans après, avec cette douleur sourde sous le sternum.
L'urgentiste connecte le corps, simple objet que je suis devenu.
L'écran du moniteur s'anime aussitôt et se met immédiatement à sonner en affichant
196 pulsations par minutes.
Ma pompe est en sur-régime, mais paradoxalement je suis détendu.
D'ordinaire, j'entends mon cœur battre. Les contractions résonnent sous mes côtes jusque dans mes tympans, et en me concentrant un peu sur mes bruits intérieurs je perçois ses battements.
Ici, sur ce matelas d'urgence, je ne l'entends plus.
A la place une vibration.
Les toubibs qui m'entourent préparent la riposte.
Le ballet des infirmières est bien réglé, mais la première tentative de freinage échoue .
Le cœur est toujours à 196. Je vois les tracés courir sur l'écran et les valeurs s'afficher. On est vraiment en direct.
Le seconde tentative, avec une plus forte dose échoue également.
Ça fait bien deux heures au moins que ma pompe tourne à fond.
Si on ne réduit pas le régime, il va se passer forcément quelque chose. D'ailleurs, les infirmières me collent sur le torse des plaques de contact pour me choquer au cas où. C'est mauvais signe.
Je suis tout cela d'un œil curieux.
J'entends que l'on m'envoie aux soins intensif. Le jeune cardio urgentiste qui m'accompagne essaie de sourire.
Trois minutes après je suis pris en de nouvelles mains. Nouvelle injection puissante. J'entends les bip du moniteur qui baissent de fréquence. Cinq minutes après j'entends de nouveau mon cœur.
Je viens de faire un marathon olympique avec un sac à dos, et je suis littéralement crevé.
Ma femme dans le salon d'attente doit se tordre les mains d'inquiétude.
Je sens confusément que je suis de nouveau à flot, même si de courts flash continuent à alerter le moniteur de surveillance.
A partir de maintenant je gère à peu près.
Enfin, je ne gère pas tant que cela parce que je ne sais toujours pas pourquoi ce cœur est parti en survitesse.
Du coup, huit jours plus tard, j'ai retrouvé mon toubib.
Une amitié de trente deux ans.
Une amitié fidèle et entretenue par deux rendez-vous annuels. C'est chez lui que je m'installe tous les ans pour faire trente ou quarante minutes de vélo en montagne, selon ma forme du moment, au cinquième étage de la clinique dans laquelle il m'avait accueilli en réanimation.
Il m'a gardé une fois réanimé.
Ces épreuves lient a jamais.
Lui aussi se gratte la tête. Je le connais, ce n'est pas un fana du bistouri ou de la prothèse, fut-elle électronique. Il m'a dit tout net que je n'avais pas encore le profil pour une assistance électronique.
Pragmatique, il m'a fait poser un enregistreur pour savoir ce qui ce passe sous mes cotes pendant vingt-quatre heures. Après dépouillement, rien que très normal. Où sont passées ces extrasystoles ventriculaires ?
On n'en trouve plus.
Il reste à voir ce qui se passe avec l'effort.
Le tout en évitant la mort subite.
J'entends ça depuis quelques heures : " ...il y a un risque de mort subite...".
Bon, c'est sûr ça ne change pas fondamentalement le problème.
Ayant beaucoup de difficultés à caler sa mort dans le temps si l'on n'est pas définitivement suicidaire, elle sera dans tous les cas subite.
Sauf que, le savoir change tout en apportant un stress supplémentaire en arrière plan.
Je n'ai pas besoin de ça.
Alors Il va falloir que je m'intéresse au Bouddhisme.
Vous savez ?
A cause de la réincarnation



14/01/2017
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